À l’approche de la deuxième édition du programme Soutien – Leaders des arts, nous nous sommes entretenus avec plusieurs personnes autochtones, noires ou de couleur (PANDC) qui sont des professionnels des arts et de la culture et dont le rayonnement s’étend non seulement dans l’ensemble du Manitoba, mais également dans tout le pays, afin d’entendre leurs histoires et de tirer parti de leur sagesse.
Notre premier invité est Joy Loewen, PDG de L’Institut national des arts de l’écran, un organisme à but non lucratif à Winnipeg qui appuie les raconteurs d’histoire partout au Canada par la formation et le mentorat.
En tant que défenseure de longue date des femmes et des jeunes filles, Joy a contribué au lancement du Women’s Television Network (aujourd’hui The W Network) en 1995, à Winnipeg. Pendant plus d’une décennie, elle a incarné le leadership féminin et l’excellence en tant que membre bénévole du conseil d’administration au Balmoral Hall, notamment à titre de présidente du conseil pendant deux ans.
Joy est foncièrement fière d’être Manitobaine et elle redonne à sa communauté adorée par l’entremise du bénévolat. Elle met son énergie intarissable au service de nombreux organismes, notamment The Winnipeg Foundation, l’Ordre du Manitoba et les comités du Conseil de la Reine, le Festival du film de Gimli et a récemment été nommée pour siéger au conseil d’administration de l’École nationale de ballet du Canada. Elle est également l’assistante civile de l’honorable Janice C. Filmon, lieutenante-gouverneure du Manitoba.
CAM : Quand es-tu tombée en amour avec les arts pour la première fois?
JOY : Ce n’est pas tant des arts dont je suis tombée amoureuse, mais de la télévision. J’ai grandi en écoutant la télévision en noir et blanc sur un petit écran de neuf pouces et j’adorais la télé. J’adorais le bulletin de nouvelles de 18 heures avec Sylvia Kuzyk, donc ce n’était pas tant les arts. J’ai découvert les arts par la télévision.
Je ne me considère pas comme une artiste, mais j’adore créer et développer mes idées et fabriquer des choses, partager ces inspirations et voir les choses prendre vie.
Mon amour de la télévision est né quand j’étais toute jeune. Quand j’étais à l’école secondaire, je travaillais dans une station de radio après l’école; c’est ce qui m’a fait découvrir l’univers de la radio. Je n’étais pas diffusée; je travaillais plutôt dans les relations publiques, alors j’ai participé à différents événements dans la région du sud-est du Manitoba, où je représentais la station ou prenais part à des parades, distribuant des bonbons ou autres. J’avais beaucoup de plaisir. Puis, j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires et j’ai fait ma demande à [l’Université] Ryerson. L’université proposait un programme baptisé Arts de la radio et de la télévision, et c’était un programme de baccalauréat et je me suis dit : « Voilà, c’est ça. », parce qu’un diplôme en trois ans m’apparaissait tellement plus facilement atteignable qu’en quatre. Donc j’ai quitté Steinbach en 1988, je suis déménagé à Toronto et suis allée à Ryerson. C’est à ce moment que j’ai véritablement fait le saut dans l’industrie des médias qui soutient les artistes.
Au-delà de Ryerson, de quelles occasions avez-vous profité pour lancer votre carrière?
Avoir une bonne éducation, c’est une chose; avoir l’occasion de bâtir des relations avec des professionnels de l’industrie et de travailler sur le terrain, c’en est une autre. Durant ma deuxième année d’études à Ryerson, on nous proposait des stages et, par hasard, la chaîne Vision TV venait de voir le jour. La chaîne n’avait pas beaucoup d’argent, mais les dirigeants ont rapidement accepté mon offre de travail bénévole. Ils avaient les moyens de me payer un modeste cachet, ce qui était génial, donc j’ai obtenu un emploi à temps partiel à la suite de mon stage.
J’ai eu la mentore la plus incroyable. Elle s’appelait Angel Narick et elle m’a fait trimer dur. Elle était enjouée et pétillante, d’une redoutable efficacité et extrêmement organisée, mais ne vous méprenez pas : elle s’attendait vraiment à ce que je fasse du bon travail. Elle me faisait tout faire! Si je terminais plus tôt, elle me tendait un linge et me demandait d’épousseter les étagères où l’on rangeait les rubans. Ce qui voulait dire : « Tu n’es pas au-dessus des tâches de nettoyage. Nous sommes une petite équipe; tout le monde touche à tout, toi y compris. » Mes expériences de travail et de mentorat à Vision TV m’ont donc permis d’acquérir de solides bases sur le plan du travail d’équipe pour le bien commun. Nous étions en 1989.
Quand j’y repense, cette époque a été en soi un moment charnière qui oriente encore aujourd’hui une grande partie de mon travail. J’ai le sentiment que l’art, les histoires tout particulièrement, dans mon cas, sont des outils pour stimuler l’empathie et pour attendrir les cœurs, ouvrir les esprits et bâtir des ponts. C’est par l’intermédiaire des histoires, de l’art, que nous arrivons à toucher les gens d’une manière que les débats, les nouvelles ou le fait de crier à l’oreille de quelqu’un « tu dois » ne nous permettent pas de le faire.
Vous êtes une professionnelle des arts travaillant depuis trente ans dans divers domaines de l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision. Avez-vous perçu des changements sur la scène des arts depuis le début de votre carrière?
On assiste à beaucoup d’innovations à l’heure actuelle. Le fait que les cinéastes peuvent créer un film à l’aide de leur iPhone me fascine, et à L’Institut national des arts de l’écran, nous venons tout juste de mettre sur pied un programme avec TikTok; nous utilisons la plateforme des médias sociaux pour nous faire connaître.
Ce médium est très accessible en ce moment et je crois qu’il peut changer la donne. Je souhaite voir plus de ce genre d’initiative, car plus nous démocratisons l’accès à la formation et au perfectionnement des compétences, plus les gens se sentiront à l’aise et auront le courage de créer des liens et de faire de l’art.
J’ai l’impression que le monde est prêt à s’ouvrir à l’utilisation de l’Internet, à utiliser les ondes, pour ainsi dire, comme un moyen d’interagir avec les autres et d’offrir de la formation à un plus grand nombre de personnes dans des zones moins peuplées, afin de leur donner les moyens de partager leurs histoires et leur art.
« J’ai le sentiment que l’art, les histoires tout particulièrement, dans mon cas, sont des outils pour stimuler l’empathie et pour attendrir les cœurs, ouvrir les esprits et bâtir des ponts. »
Dans l’essai pour la Winnipeg Foundation que vous avez rédigé plus tôt cette année, vous parlez de l’importance de promouvoir une meilleure représentation et une plus grande diversité dans les histoires, afin que chacun puisse se reconnaître dans l’art qu’il découvre. Quelle est l’importance d’étendre cette diversité aux professionnels qui travaillent dans les coulisses ou hors médias pour soutenir les artistes?
C’est essentiel. J’ai grandi dans une toute petite ville où il y avait très peu de gens qui me ressemblaient. Ce n’était pas très grave, mais aujourd’hui, en tant qu’adulte mature, je me sens bien quand j’arrive quelque part et que je ne suis pas le seul visage noir dans la pièce!
Il y a quelques années, je participais à un événement, en montant l’escalier mécanique et au sommet, je me suis retrouvée face à face avec une autre femme noire. Ses cheveux formaient un très, très gros afro et son maquillage était sublime et je me suis dit « OK! Me voici! » On se présente différemment, vous comprenez? On ne se sent pas si seul, ni si « différent de ». Et je ne veux pas dire par là que l’on ne peut pas vivre dans un monde où l’on est différent – c’est tout à fait possible – mais lorsque l’on voit d’autres personnes qui nous ressemblent, qui ont un comportement semblable au nôtre, on se sent moins seul et plus proche de sa communauté – qu’il s’agisse de son lieu de travail, de sa ville, de son pays, ce sentiment d’appartenance est extrêmement important.
En tant que jeune fille noire qui ne fréquentait aucune fille noire, j’étais… fascinée de voir des filles noires à la télévision. Ce n’était jamais trop pour moi. J’étais captivée par la série Good Times et c’était parce que Thelma me ressemblait. Son univers ressemblait beaucoup au mien – des lieux certes différents – mais je ne voyais pas cela dans mon quotidien et c’est pourquoi j’ai maintenant une certaine confiance. Bien sûr, la confiance vient avec l’âge, la maturité et le développement, mais aussi cette conscience de l’importance d’être en contact avec d’autres personnes qui vous ressemblent, qui savent ce que vous vivez.
Dans un certain sens, c’est étonnant que nous ne soyons pas parvenus à cette étape plus tôt, mais nous évoluons. Et profitons simplement de ce moment parce que nous, aujourd’hui, équipés de nos connaissances, avons la chance d’orienter et de façonner les programmes et initiatives de formation qui sont élaborés. Il y a tout un grand nombre de personnes sous-représentées qui meurent d’envie de travailler dans l’industrie et je parle tout particulièrement du cinéma et de la télévision – et je me dis, formons-les, allons à leur rencontre, parce que ce genre de diversité de culture, d’origine, de religion, de sexe, c’est exactement ce dont on a besoin quand on travaille avec des décideurs et des artistes de haut niveau.
Quels conseils donneriez-vous aux professionnels des arts et de la culture qui aspirent à faire carrière ou dont la carrière prend tranquillement son envol?
Je vais voler une réplique à Obama : pointez-vous. Vous devez vous pointer partout. Vous devez être présent et lorsque vous vous présentez, démontrez de l’intérêt! Investissez-vous parce que vous ne savez jamais ce que vous absorbez ni qui vous regarde dans la pièce.
Toutes ces petites choses mènent vers autre chose. Il y a tellement de belles œuvres d’art public dans notre ville présentement; c’est tellement inspirant. En se promenant à La Fourche, dans le parc Assiniboine, dans les rues de la ville, à la Bibliothèque du Millénaire… Un jour, en me rendant au travail à pied, je me suis dit que ce sont de beaux espaces qui, une fois que vous sortez dehors et les avez explorés, vous rattachent à eux et vous inspirent, et cette inspiration vous amène à agir et à prendre des décisions que vous n’auriez pas prises si vous étiez resté enfermé, seul dans votre petit espace.
Donc mon conseil est de vous pointer, et une fois là où vous devez être, soyez investi.
Présentez une demande pour le programme des Leaders des arts.
Le Programme des Leaders des arts du Conseil des arts du Manitoba contribue à renforcer les capacités de direction chez les individus qui se définissent comme personnes autochtones, noires ou de couleur (PANDC) dans le secteur des arts et de la culture du Manitoba. Le programme a pour objectif de permettre à plus de PANDC professionnelles à accéder à des postes de haute direction dans le domaine des arts.
Ce programme bénéficie de l’appui d’une entente de partenariat entre le Conseil des arts du Manitoba et la Winnipeg Foundation.
La prochaine date limite pour présenter une demande est le 15 février 2022! Pour de plus amples renseignements sur la façon de placer une demande, visitez : https://conseildesarts.mb.ca/soutien-leaders-des-arts/.