Maurice Mierau est le bénéficiaire de la Subvention majeure pour les arts 2017 du Conseil des arts du Manitoba. Ce financement permettra à l’écrivain de Winnipeg de travailler sur le manuscrit de son deuxième mémoire.
Merci d’être là aujourd’hui, Maurice. D’abord, j’aimerais vous féliciter d’avoir reçu la Subvention majeure pour les arts 2017. Pouvez-vous nous parler de votre projet ?
Le projet aborde l’identité culturelle, nationale et individuelle. Il porte en particulier sur la guerre qui fait rage en Ukraine et sur les origines de ma famille dans ce pays. Le nouveau livre est la suite de mes mémoires, Detachment, qui racontaient l’adoption de mes fils en Ukraine et l’enfance traumatisante de mon père mennonite, un réfugié de la Deuxième Guerre mondiale ayant fui l’Ukraine soviétique. Ce nouvel ouvrage traite de la crise existentielle à laquelle l’Ukraine fait maintenant face à cause de la guerre et des difficultés avec lesquelles mes fils doivent composer – comme tous les adolescents – pour définir leur sentiment d’appartenance.
Pour écrire ce livre, j’ai voyagé en Ukraine pendant deux mois l’automne dernier. Je suis allé au front, j’ai senti la terre trembler sous mes pieds à cause des bombardements près de Donetsk. C’est la seule guerre qui sévit en Europe en ce moment. C’est un espace de « conflit gelé » entre la Russie et l’Ukraine, mais qui fait deux victimes chaque jour. Depuis que la Russie a envahi l’Ukraine en 2014, dix mille personnes sont mortes et plus d’un million ont été déplacées à l’intérieur du pays. J’ai interrogé des douzaines de personnes : soldats, bénévoles, réfugiés, journalistes, politiciens et même quelques Ukrainiens favorables à l’intervention russe. J’aimerais d’ailleurs exprimer ma gratitude à l’Access Copyright Foundation et à la fondation Shevchenko pour avoir subventionné mon voyage.
J’ai aussi rencontré la famille biologique de mes garçons à l’extrémité ouest du pays. Je veux faire le pont entre cette histoire personnelle et celle du pays tout entier, un pays qui a du mal à s’affirmer en tant que démocratie en Europe. En tant que Canadien, je veux donner la parole à d’anciens combattants du Manitoba et à des réfugiés qui sont récemment sortis d’une zone de guerre pour qu’ils puissent parler de leur perception de l’identité nationale et personnelle.
Le livre racontera tour à tour des histoires, des entrevues et des situations personnelles, y compris celles où je me sens mal à l’aise, voire ridicule. De quoi ai-je eu l’air, sinon d’un touriste en zone de guerre, un représentant canadien aussi idéaliste qu’absurde ?
Une grande partie de vos autres publications sont des poèmes. Pouvez-vous nous parler de la différence, pour vous, entre écrire de la poésie et écrire de la prose ?
Il y a beaucoup de différences, je vais donc m’en tenir à deux.
Comme la plupart des poètes contemporains, je privilégie la forme courte, ce qui met une énorme pression sur de petits fragments de la langue. Mettre l’accent sur des syllabes, créer des effets sonores, suggérer des doubles sens, cultiver l’ambiguïté, faire allusion à d’autres poèmes – de quoi rendre fou les traducteurs de poèmes – eh bien, je pense à ces difficultés techniques quand j’écris de la poésie.
L’autre grande différence, c’est le sentiment, avec la prose, d’écrire pour un public qui dépasse largement un petit cercle d’initiés. C’est peut-être impoli de le dire, mais dans notre pays, et pour des raisons dont je pourrais parler longuement, il n’y a à peu près pas de public pour la poésie. La prose, elle, rejoint un plus grand auditoire. Les exemplaires du premier tirage de mon dernier livre de prose, Detachment, ont presque tous été vendus. J’ai reçu des courriels de partout au Canada de la part de lecteurs avec qui je n’ai aucun lien de parenté, que je ne connais pas, mais qui tenaient à me dire à quel point ils avaient aimé le livre. La solitude étant nécessaire à l’écriture, ces commentaires sont vraiment les bienvenus.
Pouvez-vous nous parler de votre démarche d’écriture en général ?
J’ai envie de vous dire « non » ! Ma démarche est souvent chaotique, inefficace, ce qui est important pour le produit fini : je veux que le moyen me donne du fil à retordre en ce qui concerne la narration, la construction de phrases et tout le reste. Je veux secouer les lecteurs plutôt que de les dorloter, ou peut-être les deux en l’espace de quelques pages. Par exemple, dans ce projet, je travaille avec les transcriptions de plus de 50 entrevues traduites des langues russe et ukrainienne par un interprète. Le défi est d’intégrer toutes ces voix dans le livre, sans oublier la mienne, tout en construisant une trame narrative suffisamment captivante pour garder le lecteur en haleine.
La construction narrative me fascine. Une part de ma démarche d’écriture consiste à lire et à étudier constamment les auteurs qui maîtrisent cet art. Je viens de lire les mémoires d’Emmanuel Carrère, un écrivain français, intitulées « Un roman russe ». L’auteur trompe les attentes du lecteur et rit des conventions d’une manière que j’admire énormément.
Selon vous, quel est le plus grand défi lorsqu’on vit de sa plume ?
Mon plus grand défi, c’est gagner ma vie tout en produisant de nouvelles œuvres. Le Canada est un petit marché pour les livres, et rares sont les écrivains ici qui vivent essentiellement de leurs droits d’auteur. Les auteurs – tout comme les autres artistes – profitent donc énormément des programmes comme la Subvention majeure pour les arts du Conseil des arts du Manitoba. Sans de tels programmes, les gens comme moi écriraient encore des livres, les acteurs, les artistes peintres, les danseurs pratiqueraient encore leur art, mais leur travail s’en ressentirait. Nous arrivons tous mieux à nous concentrer lorsque nous recevons une aide financière directe. Le gouvernement provincial consacre nettement moins qu’un pour cent de son budget dans les arts. C’est un investissement qui fait une énorme différence non seulement pour les artistes, mais pour la communauté en entier. On aime tous la lecture, les arts de la scène, le cinéma et les galeries d’art qui nous représentent, qui parle de nous et non de Toronto, de Los Angeles ou de New York, aussi merveilleuses ces villes soient-elles.
À titre de bénéficiaire de la Subvention majeure pour les arts 2017, quel conseil aimeriez-vous donner aux auteurs émergents ?
Lisez beaucoup, surtout les genres dans lesquels vous voulez écrire. Ne lisez pas seulement la littérature contemporaine et canadienne, lisez des livres datant d’autres siècles et écrits dans d’autres langues. Apprenez une nouvelle langue ou deux. Exilez-vous pendant un certain temps, plongez-vous dans une culture diamétralement opposée à celle dans laquelle vous avez grandi. Lisez des magazines littéraires de partout dans le monde. Lisez des critiques de livres. Apprenez tout ce que vous pouvez sur le domaine de la littérature. Assurez-vous de savoir bien écrire au clavier. Enfin, apprenez un métier manuel, comme ça vous gagnerez votre vie plus facilement que quelqu’un comme moi. Vous pourrez passer vos journées à cogner du marteau et vos soirées à écrire à la maison. Et lisez, encore.
Maurice, merci encore d’avoir pris le temps de nous parler. C’est un réel plaisir de découvrir votre univers.
Pour en savoir plus sur l’écrivain manitobain Maurice Mierau et sur ses publications, visitez www.mauricemierau.com.